Mettre au Monde, cataloge d’exposition - l’ArTsenal, Ville de Dreux, 2022
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Lidia Kostanek
Née en 1975 à Tomaszow Mazowiecki en Pologne, Lidia Kostanek vit et travaille à Lambesc dans le sud de la France. Lidia Kostanek arrive en France en 2003 après un diplôme en spécialité illustration obtenu à l’École des Beaux-Arts de Varsovie. Avant de découvrir le volume et la céramique, sa pratique s’orientait sur les métiers de l’illustration et du design graphique. Aujourd’hui, elle développe un univers autour de la conscience du corps humain, de l’identité féminine et du genre.
Lidia Kostanek bénéficie d’une visibilité en France et à l’étranger. Son travail a fait l’objet de nombreuses expositions collectives et personnelles dont Laniakea II qui s’est tenue début 2022 à la Fondation La RUCHE Seydoux de Paris, Mises à nu à la galerie Le Rayon Vert à Nantes en 2019, Sorcières / la même année à l’espace d’art contemporain H2M de Bourg-en-Bresse, Polak Artysta Ceramik en 2018 lors de la triennale de Bolesławiec en Pologne, et Miroir céramique au Musée de Carouge en Suisse en 2017.
Artiste graveur et céramiste, son travail prend racine dans son intimité et son enfance en Pologne où elle se positionne en regardeur d’un monde gangréné par la peur de la différence et les inégalités entre hommes et femmes. En opposition à ses expériences personnelles, elle présente à travers ses œuvres, une figuration transgressive et profondément revendicatrice. Celle d’un corps féminin libérée de sa pudeur, représentatif des bouleversements psychologiques, anatomiques et hormonaux dont chaque femme fait l’expérience lors du passage de l’enfance à l’âge adulte.
Chez Lidia Kostanek, le corps est morcelé comme pour se concentrer sur la véracité anatomique et la force iconographique d’un seul élément. Elle réalise des portraits, des bustes, des vulves, des pieds, mais ne donne jamais à voir le corps en entier. Proche des pratiques surréalistes du collage et de l’accumulation, elle n’hésite pas à démultiplier et à recomposer la forme choisie pour mieux servir son propos. Malgré leur dimension sensuelle prédominante, chaque élément du corps représenté dans l’œuvre de Lidia Kostanek est mis en tension par des effets de craquelures, mousse, moisissures, coulures sur la surface, déconstruisant ainsi peu à peu le fantasme du corps lisse, épuré, désirable. Ici, l’anatomie féminine n’est pas révélée pour faire plaisir à l’œil, elle questionne plutôt la féminité et la masculinité de manière introspective à travers un prisme plus scientifique à la limite de l’organique animal et végétal.
Pour elle, la céramique est un terrain d’expérimentations et d’amusement. Grès, faïence, porcelaine, elle adapte son matériau à la texture souhaitée selon son propos incorporant parfois des éléments divers tels que la terre, la mousse et des matières liquides.
À l’arTsenal, Lidia Kostanek présente cinq œuvres en céramique réalisées entre 2015 et 2019.
Les œuvres Jardin blanc, Jardin noir et Mandorles respectivement produites en 2015 et 2019 sont deux sculptures en bas-relief constituées respectivement l’une de deux et l’autre de trois parties. Les mandorles en forme d’amandes, font référence à l’iconographie religieuse, à l’origine, il s’agit de représentations de figures saintes qui trônaient au cœur d’un ovale pour célébrer le passage de la vie terrestre à la vie céleste. Proche de la forme de la vulve, ici, c’est bien la figure du sexe féminin qui se répète, proposant ainsi de relire le passage de la vie in utero à la vie terrestre et dans un vocabulaire plus organique que céleste. Dans Jardin blanc, Jardin noir, le propos est accentué avec la composition florale qui peut directement renvoyer aux céramiques funéraires. L’une, blanche cache dans sa composition de petits œufs évoquant la naissance, quand la seconde est habitée par une araignée. Dans un cas, c’est la question du potentiel fécond du sexe féminin, dans l’autre, une référence à l’Œuvre de Louise Bourgeois, où l’araignée convoque la figure tutélaire de la mère.
Quant à La Cuirasse, œuvre également présentée dans l’exposition, il s’agit d’une œuvre constituée de deux pièces en céramique, elle représente la perte de l’innocence de la fillette dans sa transition vers l’âge adulte. Enfermée dans cette nouvelle peau, elle subit le changement de regards sur son corps voué à donner la vie, sa prison devient - à la manière d’une peau de bête - sa cuirasse.
Glitch, une sculpture également en grès émaillé, réalisée en 2017, représente le portrait d’une jeune femme, dans un effet d’onde, qui semble changer de peau, les yeux clos, sereine, elle peut nous évoquer la divinité indienne Brahmã, reconnue pour sa bienveillance et sa sagesse. L’émail brillant de cette sculpture évoque la sacralité du personnage comme la dorure qui recouvre les représentations de ce dieu. Son titre Glitch, que l’on peut traduire par "bug" ou "dysfonctionnement", souligne avec humour un problème dans la matrice où la capacité créatrice de cette femme qui peut-être fera le choix d’aller à l’encontre de son rôle procréateur autant que la capacité de l’Homme moderne de s’accomplir à travers plusieurs missions conjointes : professionnelles, personnelles et sociales.
Mycélium est une installation constituée de modelages en céramique représentants une multitude de seins de plusieurs tailles qui émergent d’un monticule de terre à la manière de champignons reliés par un rhizome souterrain. À leurs extrémités, semble parfois s’écouler ou suinter du liquide. Allégorie de la fertilité de la terre comme du corps féminin nourricier, cette pièce évoque également les désagréments auxquels les femmes peuvent être sujettes en période Post-partum.
À travers ces œuvres Lidia Kostanek révèle la dualité entre la capacité quasiment sacrée de la femme à donner vie et la charge physique et mentale que représente cette responsabilité. Elle souligne ici la violence que subit l’adolescente lors du passage à l’âge adulte et sur laquelle sont soudainement transposés fantasme et maternité. Entre objet de désir et corps douloureux, l’artiste questionne ici, la possibilité ou l’impossibilité pour la femme d’échapper à son rôle créateur.
Texte :
Lucile Hitier et Estelle Lutaud